Tribute | Hommage

Amadou Diallo – Brossard (QC)

Hommage à Monsieur Bah


La cérémonie d’hier s’est déroulée dans la sérénité et la dignité. Faute de temps, je n’ai pas pu partager le mot que j’avais préparé. Aujourd’hui, je tiens à l’écrire, pour honorer un homme qui a marqué nos vies de son empreinte indélébile.


Cécile Vézina et Alhoussaini Bah ont accueilli ma famille et moi avec une générosité sans égale. Que ce soit à la rue Péladeau, à Mirabel ou à la rue Gilles, chaque lieu reflétait leur chaleur, leur simplicité et leur bienveillance — transformant leur maison en un foyer où nous nous sentions aimés et respectés.


Après le départ de Cécile, c’est à Saint-Jacques, à Longueuil, que j’ai retrouvé Monsieur Bah. C’est là que j’ai vu sa mémoire se faner peu à peu, les visages amis se perdre dans l’oubli. Mais c’est aussi là que j’ai été témoin de l’amour et de la fidélité de ses enfants, toujours présents, veillant sur lui avec une tendresse infinie.


À Saint-Jacques, nous évoquions souvent son village natal, Ghagnaka. Il en parlait avec une fierté tranquille, citant les écoles, le dispensaire, la mosquée — des projets auxquels il avait consacré une part importante de son énergie. Ces œuvres restaient vivantes grâce à lui, incarnant l’essence même de sa vision : offrir aux autres ce qu’il avait lui-même reçu, avec une immense générosité.


Je me souviens aussi d’un moment plus intime. Un jour, Monsieur Bah évoqua avec une certaine tristesse la perte d’une montre d’une grande valeur sentimentale. Lorsque je lui suggérai que ses enfants pourraient lui en offrir une nouvelle, il secoua la tête avec détermination :
« Impossible », me dit-il.
Cette montre, il l’avait reçue en Allemagne, en hommage à sa contribution à la reconstruction de l’église de Cologne durant ses années d’études. Elle représentait un chapitre de sa jeunesse, de ses luttes et de ses réussites.
Nous avons échafaudé des théories pour expliquer sa disparition, suspectant quelques visiteurs… Mais à ma visite suivante, la bonne nouvelle arriva : la femme de ménage l’avait retrouvée sous le lit. Quel soulagement !


Ces moments de partage resteront à jamais gravés dans ma mémoire. Souvent, nous riions ensemble. Un jour, pour le divertir, je lui racontai une histoire entendue d’un chauffeur de taxi :
Deux adolescents, l’un hindou, l’autre musulman, se demandaient lequel priait le Dieu le plus puissant. Pour le prouver, ils décidèrent de sauter du deuxième étage d’un immeuble, invoquant chacun son Dieu.
Après tirage au sort, le musulman sauta le premier, criant :
« Allah, aide-moi ! »
Il atterrit sans mal et appela son ami :
« C’est ton tour maintenant ! »
L’hindou hésita, protesta, puis finit par sauter à son tour, criant :
« Krishna, aide-moi… et Toi aussi, Allah ! »


Monsieur Bah éclata de rire — un rire pur, profond, que je n’avais pas entendu depuis longtemps. Il me rappela celui qu’il avait eu rue Gilles, lorsque Mehdi avait fait semblant de s’asseoir sur le couffin de sa petite-fille, Maude. Ce rire, rare et sincère, témoignait de la profondeur de son esprit.


Après Saint-Jacques, je l’ai visité à l’hôpital Pierre-Boucher, puis à l’hôpital Lakeshore. Entre ces deux séjours, il avait trouvé refuge au Centre de Gouin — un lieu superbe, sécurisé, aménagé avec soin, à quelques minutes de chez Aïssatou, son aînée. Ce centre a été choisi avec amour. Il ne pouvait en être autrement, tant ses enfants l’ont entouré avec présence, soin et attention.


J’ai été profondément marqué par la qualité des soins qu’il a reçus dans ces établissements. Mais ce qui a fait toute la différence, c’est la présence constante et bienveillante de ses enfants : deux infirmières diplômées et un médecin spécialiste, qui ont veillé sur lui avec une dévotion sans faille.


Chaque visite reste gravée dans ma mémoire. Parfois, nous échangions en français, en peul, parfois même en allemand. À d’autres moments, il y avait des silences lourds de signification — des silences qui parlaient de l’importance de ma présence à ses yeux.


Lors de ma dernière visite, il semblait distant, ailleurs. Je m’apprêtais à partir quand, soudainement, il toucha doucement le dos de ma main qu’il tenait, et porta lentement ses doigts à ses lèvres. Ce fut notre dernier contact. Un geste furtif, mais d’une intensité bouleversante.


Aujourd’hui, alors qu’il repose en paix, je réalise que je ne pourrai plus lui rendre sa bise. Il ne me reste que mes larmes… et une immense gratitude pour tout ce qu’il a semé en nous au cours de sa vie.
Prof. Amadou Diallo

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